La Cour d'appel de Paris a, le 18 décembre 2013, rendu une décision qui s'inscrit tout à la fois dans le débat sur le rôle de L'action du ministre de l'article L. 442-6, III et sur la question du déséquilibre significatif de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce (voir aussi ici, et ici).
Suffisamment emblématique pour mériter une valorisation sur le site de la DGCCRF et LSA, l'arrêt aboutit à la condamnation du GALEC, le groupement d'achat Leclerc, à une amende civile d'un montant de 500 000 €.
Cet arrêt peut en outre être corrélé avec celui qui avait donné lieu à une condamnation, sur un fondement voisin, à des remboursements de près de 23 millions d'euros (Versailles, 3 mai 2007 ; Angers, 29 mai 2007 : D. 2007, p. 2433 et v. M Béhar-Touchais : RDC, 2007, p. 831 ; D. Mainguy in JCP 2008, I, 1676 ; C. Jamin et D. de Béchillon, La Convention européenne des droits de l’homme au supermarché : D. 2007, p. 2313; Cass. com., 8 juill. 2008, n°s 07-16761 et 07-13350 : JCP 2009, I, 1479, obs. D. Mainguy).
L'arrêt fait suite à l'une de ces actions engagées sur le fondement de l'article L. 442-6, III du Code de commerce visant à obtenir une amende civile sur le fondement de la violation des dispositions de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce. Considérée comme irrecevable par le tribunal de commerce de Créteil du 13 décembre 2011, le Ministre triomphait cependant en appel.
Rappelons les deux textes en présence :
C. com., art. L. 442-6 :
"I.-Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
(...)
2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties
(...)
III
(...)
Lors de cette action, le ministre chargé de l'économie et le ministère public peuvent demander à la juridiction saisie d'ordonner la cessation des pratiques mentionnées au présent article. Ils peuvent aussi, pour toutes ces pratiques, faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites et demander la répétition de l'indu. Ils peuvent également demander le prononcé d'une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 2 millions d'euros. Toutefois, cette amende peut être portée au triple du montant des sommes indûment versées. La réparation des préjudices subis peut également être demandée. Dans tous les cas, il appartient au prestataire de services, au producteur, au commerçant, à l'industriel ou à la personne immatriculée au répertoire des métiers qui se prétend libéré de justifier du fait qui a produit l'extinction de son obligation."
1. La question de la recevabilité reposait sur l'interprétation de la décision du Conseil constitutionnel n°2011-126 QPC du 13 mai 2011 qui s'était prononcée sur la constitutionnalité de l'article L. 442-6, III du Code de commerce notamment en ce que le Ministre avait été considéré, par la Cour de cassation dans les arrêts de 2008, comme pouvant agir seul, pour obtenir les résultats visés par ce texte, et avec d'éventuelles victimes des pratiques visées. Or, le Conseil avait validé le principe de l'interprétation par la Cour de cassation, tout en indiquant, sous la forme d'une réserve d'interprétation, que cette règle ne portait pas atteinte au principe du contradictoire sous réserve que "les parties au contrat ont été informées de l'introduction d'une telle action" (Déc. préc., pt. 9). Or le Galec considérait que l'action du ministre avait pour objet la cession, pour l'avenir, des pratiques illicites, alors que l'action qui lui est reconnue ne peut avoir pour objet que d'obtenir l'annulation de clauses illicites, ce qui implique comme conséquence, et non comme action distincte, d'obtenir leur cessation pour l'avenir. Plutôt tarabiscoté, l'argument était écarté par la Cour : l'article L. 442-6, III assure bien au ministre la faculté d'obtenir la cessation de pratiques illicite "et aussi" d'obtenir l'annulation de contrats ou clauses illicites.
2. La Cour se prononçait en outre sur l'interprétation du terme "soumission" de l'article L. 442-6, I, 2°. Ou bien en effet, on retient une conception "psychologique" du terme soumission et la soumission à un contrat déséquilibré suppose la détermination d'une contrainte, voire d'une position dominante ou quasi dominante ; ou bien la soumission est un simple terme juridique où la soumission est équivalente de l'insertion d'une clause dans un contrat d'adhésion. C'est cette dernière conception que retient la Cour d'appel : "considérant que la soumission se traduit par l'insertion de ces clauses dans les contrats dès lors (...) qu'il n'y a pas de pouvoir réel de négociation (...)".
3. En outre, sur les clauses qui sont à l'origine du déséquilibre significatif, la décision est particulièrement riche.
a. Ainsi, la Cour se prononce sur les clauses d'exclusion des Conditions générales de vente (CGV) par les conditions générales d'achat (CGA), qu'elle considère comme une clause déséquilibrée.
C'est là une interprétation d'une portée considérable.
Du point de vue du droit des contrats, en premier, la question de l'opposition entre CGV et CGA est une très ancienne question reposant sur la technique des contrats entre absents sur le fondement de documents contractuels de la négociation (Voir ici la négociation des contrats d'affaires) où l'on considérait que la clause excluant les documents de l'autre devait l'emporter, sur le fondement que ces documents représentent la part de consentement de chacun. Dès lors, l'offre d'application des CGV à l'eclusion des CGA, par exemple, ne recueille pas acceptation tandis que l'offre d'application des CGA (sans mention exclusive) emporte une non réponse et donc, une réponse générale positive (puisque l'ensemble était accepté), à moins que les CGA et CGV s'opposent par des clauses contraires, chacune stipulant que les CG de l'autre sont exclues (cf. pour une CRP et une "non-CRP" : Cass. com. 11 juillet 1995, JCP 1996, éd. G, 1996, I, 3896, obs. Ph.Pétel ; éd. E., II, 22583, note D. Mainguy ; éd.E,II, 3896, note J. Vaillansan,D. 1996. Somm. 212 , obs. F. Pérochon. P. Crocq ̧ obs. in. RTD civ.1996.675 ; D. Mainguy,obs. in JCP éd. E, 1997, I, 631, n°6 ; D. Voinot, Le refus par l'acheteur de la clause de réserve de propriété en droit des procédures collectives, D. 1997. Chr. p. 312). Au final, chacun aurait donc intérêt à stipuler que ses CG s'appliquent et l'emportent sur celles de son partenaire, en une illustration de la théorie du prisonnier, au risque que ces clauses s'annulent et donc que l'on se retrouve à éplucher, par le détail, les CG de chacun pour identifier les points de conformité, les points dit par l'un et ingoré par l'autre, pour former un puzzle contractuel, a posteriori le plus souvent.
Du point de vue des pratiques restrictives de concurrence, la question est plus complexe puisque l'article L. 441-6 dispose que les CGV sont le socle de la négociation mais prévoit, d'une part qu'une négociation est possible et d'autre part les conditions de cette négociation; Toutefois, à aucun moment, le texte n'envisage que la clause excluant l'une ou l'autre des conditions générales serait interdite.
Pour la Cour, le caractère déséquilibré de la clause se justifie pour plusieurs raisons. La clause d'exclusion des CGV dans les CGA du Galec aboutissait à inverser de manière systématique le jeu initialement prévu par l'article L. 441-6, mais surtout que la clause avait joué alors même que certaines CGV prévoyait une clause les faisant prévaloir sur les CGA, ce qui aurait dû, au mieux, éliminer ces deux clauses, alors même que les CGA s'appliquaient dans leur intégralité, de sorte qu'il en résultait un caractère systématique de cette clause.
Voilà une grande première : une clause, dans des conditions générales de contrat, excluant les conditions générales de ses cocontractants, s'imposant de manière systématique, quand bien même des clauses, dans les conditions générales de ces cocontractants, prévoirait un mécanisme en miroir, sont des clauses déséquilibrées au sens de l'article L. 442-6, I, 2°.
b. En deuxième, étaient épluchées les clauses relatives aux paiements croisés entre le Galec et les fournisseurs. En effet, si le Galec prévoyait que le paiement du prix des ventes faites par les fournisseurs avait lieu entre 30 et 60 jours, le paiement, inverse, des "prestations de services propres à favoriser la commercialisation des produits", ex-services de coopération commerciale, réalisés par le Galec pour les fournisseurs, devaient être payés à 30 jours. Or, la différence aboutit à un déséquilibre financier dans la mesure où le fournisseur doit verser des sommes avant d'avoir pu récupérer, et éventuellement effectuer une compensation, avec les sommes qui lui sont dues, de sorte qu'il assure un crédit au Galec.
Situation extrêmement classique mais qui est ici stigmatisée, en raison du caractère systématique de la clause de paiement à 30 jours du prix des prestations de services, de l'absence de négociation de ce délai et de l'absence de clauses assurant un rééquilibrage quelconque.
De même, si les fournisseurs versent un escompte pour paiement anticipé du prix des marchandises, le Galec ne versait aucun escompte en retour, pour paiement anticipé des différents avantages tarifaires dus par les fournisseurs. Dès, pour la Cour, la présence d'une telle clause d'escompte dans réciprocité est une clause déséquilibrée, de sorte que - la formulation est importante - "l'absence d'escompte pour le paiement "anticipé" de celles-ci [les prestations de services et ristournes] créé un déséquilibre significatif au détriment du fournisseur". On peut ici être un peu plus surpris : on comprendrait la clause prévoyant un escompte au profit du Galec soit considérée comme un déséquilibre significatif du fait de l'absence d'escompte inverse, mais la "non clause" d'escompte ne peut pas être une "non clause" déséquilibrée sauf à basculer dans le raisonnement global relevant de l'application des règles relatives aux pratiques anticoncurrentielles et autorisant alors l'ALDC si elle avait été saisie à procéder ar injonction.
Enfin, la question des clauses prévoyant le paiement de pénalités en cas de paiement tardif, précisée dans les termes prévus par l'article L. 442-6 du Code de commerce, à laquelle s'ajoutait une somme forfaitaire de 160 € par facture de prestations de services réglée au-delà de la date de paiement (30 jours). En revanche, aucune pénalité particulière pour les retards de paiement par le Galec. Appréciée par comparaison avec le mécanisme d'escompte déséquilibré, la Cour y décèle, à nouveau, un déséquilibre du fait de l'absence de réciprocité. Au passage, par ailleurs elle apporte un éclaircissement sur la combinaison entre l'article 1152, al.2 du Code civil, qui prévoit que le juge peut réduite ou accroître le montant de la pénalité s'il la juge "manifestement dérisoire ou excessive" et l'article L. 442-6, I, 2°. Ainsi, pour la Cour le premier texte n'exclut pas le second, de sorte que, en présence d'une clause pénale, le juge n'est pas contraint de ne faire application que de l'article 1152, al.2 du Code civil.
c. Même sanction pour la clause qui fait reposer sur le fournisseur le risque de destruction, par les consommateurs sur les lieux de vente, des outils de promotion détachables ou découpables sur les produits vendus.
Le Galec proposait une analyse de la vente appliquée à la vente en libre service, qui a toujours posé bien des difficultés. Ainsi il considérait que la chose vendue devait pouvoir permettre, en cas de défectuosité de celle-ci, une action en garantie d'éviction ou des vices cachés voire en responsabilité pour délivrance non conforme et que la clause était simplement une adaptation du transfert des risques, distinguant donc le moment du transfert de propriété de celui du transfert des risques s'agissant tout au moins de ces étiquettes. Astucieux, le raisonnement était cependant écarté, d'abord parce qu'on ne voit pas bien comment le transfert des risques pourrait ainsi affecter une partie de la chose mais point l'autre. La clause par exemple n'aurait pu être mise en oeuvre au cas où un consommateur cassait la chose au lieu de détériorer l'emballage pour récupérer un coupon détachable. Or, en procédant à un tel transfert des risques, la clause se présente comme une clause déséquilibrée.
4. Au final, l'arrêt est incontestablement une décision rare et riche d'enseignement. Nul doute qu'elle est ou sera frappée d'un pourvoi en cassation dont la solution sera particulièrement éclairante sur la portée de ce mécanisme permettant au Ministre de l'Economie, mais aussi aux parties, d'engager ainsi une action visant à éliminer des clauses déséquilibrées.
Cette question est d'autant plus importante que le projet de réforme du Code civil par voie d'ordonnance prévoit d'insérer dans le code civil un dispositif radical, indiquant que toute "clauses créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, est une clause abusive", à la manière des PEDC, ouvrant alors la voie à un contrôle général des clauses disproportionnées, abusives, exagérées, déséquilibrées, comme on voudra bien les considérer, dans tous les contrats, pas simplement les contrats de consommation (C. consom., art. L. 132-1) ou par référence à un régime de responsabilité civile et de responsabilité quasi pénale (C; com., art. L. 442-6, I, 2° et 442-6, III) dans les relations de la grande distribution.